CHAPITRE IV

 

— Bonjour, John.

John Holman leva les yeux, sourit à la jeune fille.

— Bonjour, Casey.

— Comment te sens-tu, John ?

— Bien.

Il avait préféré attendre à l’extérieur, assis sur les marches. Les hôpitaux le déprimaient.

Elle s’assit à côté de lui.

— Ils disent qu’il te faudrait encore deux semaines.

— Mais non, je suis en pleine forme. Une heure de plus ici, et je redeviens fou.

Le mot la fit tressaillir : elle se rappelait trop bien dans quel état il était lors de sa première visite.

La nouvelle du séisme avait stupéfié et alarmé tout le pays, consterné les géologues, et semé la panique dans les villes et villages voisins. Holman étant très discret sur le sujet de son travail (il ne disait même pas pour quel service au juste il travaillait), la jeune fille ignorait qu’il se trouvait dans le secteur. Il avait une « mission « pendant le week-end, c’était tout ce qu’elle savait  – non, il ne pouvait lui révéler où il allait, et non, décidément non, elle ne pouvait pas l’accompagner. Si elle avait su qu’il opérait dans le village où s’était produit le séisme, elle... elle ne voulait pas y penser. Le moment où elle avait appelé son bureau le lendemain, inquiète qu’il ne lui ait pas téléphoné à son retour, pour apprendre à quel endroit se situait sa mission, l’avait suffisamment éprouvée. On lui avait répondu que  John Holman se trouvait effectivement dans cette zone ; comme il ne s’était pas manifesté, on présumait qu’il ne pouvait regagner sa base à cause des routes bloquées par les secours, les services médicaux et les hordes de curieux que le goût du morbide rassemblait inévitablement autour des catastrophes  – à moins qu’il ne se soit joint aux secours. On s’était gardé de lui faire part de l’inquiétude qu’on éprouvait à l’idée qu’il était peut-être retenu à la base militaire de Salisbury, et que le ministère de la Défense allait sans doute leur tomber sur le dos. On lui avait conseillé de rappeler un peu plus tard pour obtenir les nouvelles qu’on ne manquerait pas d’avoir alors, et surtout, de ne pas se rendre dans le Wiltshire : la circulation y devenait difficile et il lui serait impossible de retrouver Holman.

La journée s’était écoulée dans un accablement hanté par la peur. Elle avait appelé son patron, un antiquaire de luxe d’une rue adjacente à Bond Street, pour l’informer qu’elle était malade et ne pourrait venir. Ce petit homme pointilleux, qui estimait toute présence féminine superflue ailleurs que dans le travail, avait exprimé sèchement l’espoir qu’elle serait suffisamment rétablie le lendemain pour venir à la boutique. Ensuite, des heures durant, elle avait erré dans la maison, désœuvrée, sans sortir pour le cas où le téléphone sonnerait, sans manger ou presque, en écoutant la radio dans le seul but de capter des nouvelles du tremblement de terre.

Elle connaissait Holman depuis presque un an, et s’avouait de plus en plus clairement que s’il l’abandonnait, elle serait perdue. A présent, elle dépendait de lui plus étroitement qu’elle n’avait dépendu de son père. Quand ses parents avaient divorcé huit ans auparavant à l’instigation de sa mère, c’était à son père qu’elle avait demandé le réconfort et la protection qu’un enfant attend d’une mère. Il s’était merveilleusement bien acquitté de cette tâche ; trop bien même, puisque, pour compenser l’absence de sa femme, il s’était attaché à sa fille de manière irrévocable.  Inconsciemment d’abord, Holman avait commencé de dénouer ces liens ; puis, quand il en eut mesuré toute la portée, il entreprit doucement, mais méthodiquement, de soustraire Casey à l’emprise de son père. Non pas tant par amour pour elle que par respect pour sa personne. Elle avait une forte personnalité, très volontaire, il le savait, mais étouffée par l’amour dominateur de son père. Si leur relation ne trouvait pas de limites, elle ne serait jamais libre de vivre sa propre vie. Et cette intimité entre un père et sa fille le gênait.

Il avait donc tenté d’amener Casey  – en fait, elle s’appelait Christine, et il lui avait donné ce surnom pour des raisons qu’il ne lui avait pas encore dites  – à quitter la maison de son père pour s’installer dans un logement personnel. Elle l’aurait fait s’il avait consenti à vivre avec elle, mais lui ne voulait pas aller jusque-là. Deux aventures désastreuses l’avaient déterminé à ne jamais se laisser entraîner dans une affaire de cœur exclusive. Il avait failli en venir là bien des fois, jusqu’à proposer le mariage à une jeune personne qui avait pris la fuite en comprenant ce qu’elle avait toujours pressenti, qu’il ne l’aimait pas. Des années avaient passé, et il se demandait à présent s’il était bien capable d’aimer. Mais depuis qu’il avait rencontré Casey, son cynisme l’abandonnait. S’il résistait encore, il devinait qu’il livrait une bataille perdue d’avance. Vieillissait-il ? En tout cas, il se résignait maintenant à admettre qu’il avait besoin d’une compagne. Car même s’il n’était jamais vraiment seul, il ne partageait plus rien depuis très longtemps.

Progressivement mais sûrement, Casey était en train de miner ses défenses, comme il minait l’intimité qui existait entre son père et elle. L’un et l’autre regimbaient pourtant. Elle ne quitterait pas son père sans être assurée qu’un autre homme prendrait sa place, et John refusait d’être cet autre homme ; qu’elle déménage d’abord, préalablement à tout garantie de ce genre. Il était plus âgé qu’elle, certes, mais ne voulait pas pour autant devenir une figure paternelle. Pour le moment, la situation était donc dans l’impasse.

C’est dans cette angoisse de l’attente devant le téléphone que Casey comprit qu’elle agirait comme le désirait John. Elle se rendait à ses raisons. Son père en serait terriblement blessé, bien sûr, mais son départ ne signifiait pas qu’elle ne le verrait plus. La détermination de sa fille l’inciterait peut-être à se montrer moins glacial envers John. S’il ne se laissait pas fléchir, elle serait confrontée de nouveau à l’épreuve d’un choix douloureux, pour toujours cette fois. Et elle savait déjà qui serait le perdant.

Elle avait tenu jusqu’à trois heures, puis avait rappelé le bureau de Holman. Entre-temps, on avait reçu des nouvelles. On s’excusait de ne pas les lui avoir communiquées, mais ce tremblement de terre avait mis le service sens dessus dessous. Croyait-on que de pareilles choses puissent se produire en Angleterre ! Un homme répondant à l’identité de John Holman et dont les papiers attestaient qu’il travaillait au ministère de l’Environnement avait été admis à l’hôpital général de Salisbury, dans un état de choc extrême.

Affolée, le cœur battant, Casey avait insisté pour avoir des détails ; alors, assez évasivement, on l’avait assurée que John n’était pas touché physiquement. Qu’elle ne cherche pas à se rendre sur place, on l’informerait sans faute des développements de cette affaire.

Casey avait remercié, puis appelé l’hôpital. Excuses, standard débordé, on ne passait pas les appels ; pouvait-elle rappeler ultérieurement ?

Comme un automate, elle avait griffonné un mot pour son père, déterminé sur une carte l’emplacement de la ville et couru sortir sa voiture, une berline d’un jaune étincelant offerte par son père. Plutôt que de traverser Londres, elle l’avait contourné par le nord puis avait choisi des routes secondaires pour éviter les villes encombrées. Aux abords de Salisbury, la circulation très dense était réglée par la police. Après interrogatoire sur leur destination, les automobilistes qui n’avaient d’autre raison d’y entrer que de satisfaire une curiosité malsaine étaient refoulés. Casey s’était expliquée quand était venu son tour ; on l’avait autorisée à poursuivre son voyage, à la condition expresse de ne pas sortir de la ville pour gagner le site de la catastrophe. Sur les conseils des policiers, elle avait garé sa voiture à l’entrée de la ville et marché jusqu’à l’hôpital qui était en effervescence. Pour toute réponse à ses questions sur l’état de santé de John, on lui avait dit d’attendre en compagnie des nombreuses personnes, parents ou amis angoissés venus aux nouvelles d’une victime de la catastrophe.

A huit heures du soir enfin, après qu’elle eut tenté plusieurs fois en vain d’obtenir une information, un médecin aux traits marqués par la fatigue était venu vers elle. Il était préférable qu’elle ne voie pas John ce soir, lui avait-il annoncé en aparté, à voix basse. L’état de choc qui l’affectait, pour n’être pas trop grave, avait nécessité une transfusion sanguine ; pour le moment, il était sous sédatifs à haute dose. Voyant à quel point la jeune fille semblait émue, il avait décidé de ne pas lui révéler sur-le-champ la nature du mal dont souffrait Holman. Demain, quand elle serait plus calme, il serait bien temps de lui expliquer que son amoureux, fiancé, petit ami, qu’importe, était devenu complètement fou. Que, même sous calmants, il fallait le ligoter sur son lit pour éviter qu’il ne se blesse ou n’agresse quelqu’un. Cet homme avait manifesté une tendance suicidaire des plus étranges. Dans l’ambulance qui l’emmenait à l’hôpital, alors qu’il était attaché, il avait réussi à se libérer, cassé une vitre et tenté de s’égorger avec un long éclat de verre. Heureusement, l’intervention musclée de l’ambulancier  – qui avait valu à ce dernier une mâchoire cassée  – l’avait empêché de s’entailler trop profondément. Devenu enragé, Holman avait blessé deux employés et un médecin qui prétendaient le maîtriser. Bien qu’on lui ait administré un sédatif, il restait sujet à des accès de fureur : on avait dû l’attacher. Non décidément, songeait le médecin, ce n’était pas le moment de relater les faits à cette jeune fille. Elle en jugerait par elle-même le lendemain.

Casey avait passé la nuit dans un hôtel bondé de journalistes et d’habitants de la zone sinistrée qui estimaient prudent de s’éloigner un peu. En prêtant l’oreille, elle en avait appris davantage sur le séisme. Sur une population de quatre cents âmes, un tiers au moins avait été tué, un autre tiers blessé. Beaucoup de maisons anciennes et de cottages, même à l’écart de la gigantesque cassure, s’étaient effondrés sur leurs occupants, les tuant ou les mutilant. L’histoire la plus remarquable était celle de cet homme et de cette petite fille sauvés de la gueule même du gouffre où on les avait découverts. A la surface, on vit que l’enfant était inconsciente ; l’homme, lui, manifestait un état de choc mais il était vivant, et même très vivant. C’était de John Holman qu’ils parlaient ainsi, mais Casey ne le comprendrait que bien plus tard.

Le lendemain matin, à l’hôpital, on lui avait dit qu’elle pourrait le voir dans la journée, à condition de se préparer à recevoir un choc. Holman n’était plus l’homme qu’elle avait connu, lui expliqua le même médecin sans s’émouvoir ; il avait sombré dans la folie furieuse. Comme Casey fondait en larmes, il s’était empressé d’ajouter que le mal n’était peut-être pas définitif. L’épreuve qu’avait subie son patient n’avait peut-être altéré que provisoirement son esprit ; avec le temps, il était possible qu’il guérisse. Rentrée à l’hôtel, Casey n’avait su que pleurer jusqu’à l’heure fixée pour la visite. Lorsqu’elle arriva enfin, on lui conseilla de ne pas s’obstiner à le voir ; elle s’obstina, et le regretta ensuite.

Le docteur avait raison, il n’était plus l’homme qu’elle connaissait  – et aimait  – mais un animal en furie, une créature repoussante. De fortes lanières de cuir l’attachaient à son lit qui était l’unique meuble d’une chambre sans fenêtres, capitonnée d’un revêtement très doux semblable à du plastique. Il ne pouvait remuer que la tête, les mains et les pieds, ce qu’il faisait continuellement, avec une grande violence, jetant la tête de droite à gauche, serrant et desserrant les mains comme des griffes. Sa gorge était bandée, sa bouche obstruée d’un épais tampon de peur qu’il ne se sectionne la langue. Et ses yeux... Elle n’oublierait jamais la lueur démente de ses yeux dilatés, hagards. Ayant réussi à se débarrasser de son bâillon, il s’était mis à proférer des obscénités telles qu’elle n’en crut pas ses oreilles. Un être humain était donc capable d’abriter des pensées semblables à celles qui se déversaient de cette bouche ? Il avait le regard fixé sur elle, mais ne la voyait pas. Une infirmière était accourue pour remettre le bâillon en place, une fois de plus, en évitant soigneusement les dents qui cherchaient à la mordre.

Casey s’était sauvée dans un état de confusion lamentable, les yeux brouillés de larmes. Savait-elle même si c’était vraiment John, cet être qui lui ressemblait si peu physiquement ? Au premier abord, elle en avait douté, et maintenant elle aurait aimé se persuader que ce n’était pas lui. Mais pourquoi faire semblant de le croire ? Pour l’aider à guérir, il fallait qu’elle affronte les faits. Et s’il ne guérissait pas ? Pourrait-elle continuer à aimer la créature qu’elle venait de voir ?

Elle retourna à l’hôtel en plein désarroi, l’esprit en tumulte. Un profond conflit se jouait en elle. Après avoir pleuré des heures, et lutté contre la répulsion que lui inspirait la folie de John, elle commença de s’avouer vaincue  – et appela son père. Il la pressa de rentrer immédiatement, et elle dut résister à la force qui la poussait à accepter. Elle avait besoin de lui, de sa présence protectrice, de ses paroles de réconfort qui éloigneraient d’elle toute responsabilité.

Pourtant elle tint bon. Elle devait à John de rester près de lui tant qu’il restait une chance, même la plus infime. La maladie ne pouvait détruire cette intimité qui avait été la leur. Elle annonça à son père qu’elle resterait jusqu’à ce qu’elle soit fixée sur le sort de John, d’une manière ou d’une autre. Rien ne put la fléchir : il n’était pas question qu’il vienne la rejoindre, et elle ne rentrerait qu’avec la certitude qu’elle ne pouvait rien pour John.

Le même soir, elle lui avait rendu une seconde visite qui avait encore accru son désarroi. Le médecin avait jugé nécessaire de lui raconter le cas de cette petite fille sauvée en même temps que John, et qui était morte l’après-midi sans être sortie de son singulier coma. On pensait à présent qu’elle avait pu être affectée par un gaz souterrain, tout comme Holman peut-être, ce qui, sans qu’on sache trop comment, expliquerait sa folie. Les jours prochains diraient si la lésion cérébrale était définitive ou non. Et si ses conséquences devaient être fatales.

Casey avait à peine dormi cette nuit-là. Ainsi, la mort de John n’était pas à exclure ; ses émotions s’en trouvaient clarifiées. S’il vivait, même s’il devait rester dément, elle ne le quitterait plus jamais. La réalité lui soufflait que son amour pour lui ne pourrait demeurer inchangé ; elle l’aimerait différemment, d’un amour qui se nourrirait du besoin qu’il aurait d’elle. Et  – elle s’obligea à l’envisager  – et s’il mourait ? Alors, elle oublierait la créature qu’elle avait contemplée ces deux derniers jours pour ne se souvenir que de celui qu’il avait été auparavant, et de ce qu’ils avaient partagé. Aux petites heures du matin, brisée de fatigue, elle avait enfin sombré dans un sommeil peuplé de rêves.

Lorsqu’elle était retournée à l’hôpital le lendemain matin, le cœur partagé entre une terrible appréhension et un espoir tenace, Holman avait recouvré toute sa raison. Il était affaibli, blafard, mais sain d’esprit. Une semaine plus tard, il fut prêt à rentrer chez lui.

 

Elle s’assit près de lui sur les marches, lui prit la main. Il mit un baiser sur sa joue.

— Merci, dit-il dans un sourire.

— De quoi, John ?

— D’être là. D’être restée.

Elle garda le silence.

— Les médecins m’ont dit dans quel état j’étais, reprit-il. Comme tu as dû avoir peur !

— Oh ! oui.

— Ils ne comprennent toujours pas comment un fou dangereux peut redevenir normal aussi vite. Pour eux, c’est le gaz, quel qu’il soit, qui serait responsable d’une modification temporaire du cerveau. Mais moi, j’ai eu de la chance. La petite fille en est morte.

Il fixait le sol sans parvenir à cacher son chagrin. Casey serra très fort sa main.

— John, est-il vraiment indiqué que tu quittes l’hôpital si tôt ?

— Oh ! Ils veulent que je reste, que je subisse d’autres tests, pour voir s’il y a des lésions définitives. Mais j’en ai plus qu’assez. Assez de la presse, de la télévision et des journalistes qui se sont acharnés sur les quelques survivants en état de répondre  – et j’étais une cible de choix. Jusqu’à Spiers qui est venu m’interroger hier.

Spiers était son supérieur hiérarchique direct au ministère. Holman éprouvait envers lui une antipathie non dénuée d’admiration. Leur principal sujet de discorde s’exprimait lorsque, mission accomplie, preuves rassemblées, il présentait un rapport complet au chef de service et que ce dernier n’engageait aucune action contre les coupables. « A joindre au dossier », telle était sa formule. Holman ignorait quel combat menait Spiers pour qu’aboutisse cette action qui se heurtait au mur tout-puissant de la politique et de l’argent.

— Spiers ? Que voulait-il ? s’enquit Casey.

— Simplement savoir si j’avais bien rempli mon week-end.

Pouvait-il lui dire que Spiers s’inquiétait de savoir s’il avait découvert un lien entre le tremblement de terre et les expériences menées au sein de la base militaire ? Lien improbable selon lui  – d’ailleurs, il n’avait aucune preuve.

— Quelle teigne, ce Spiers ! s’indigna Casey. Il est odieux.

— Pas entièrement. Il est assez sec, plutôt réfrigérant, mais il a ses bons côtés. Quoi qu’il en soit, je devrai lui faire mon rapport demain. — Il leva la main pour prévenir les protestations de la jeune fille. — Simple compte rendu de mon activité du week-end, après quoi j’aurai une semaine de liberté.

— Je l’espère bien, après tout ce que tu as enduré !

— C’est juste, mais franchement, je me sens très bien à présent. La gorge un peu douloureuse encore  – et il paraît que j’ai eu de la chance que l’entaille ne soit pas trop profonde. Bref, je me suis assez reposé ici. Viens, partons vite avant que je ne reperde mes esprits.

Elle eut une mimique qui le mit en joie.

 

Ce fut juste avant Weyhill qu’ils rencontrèrent à nouveau le brouillard. Les routes étaient calmes, le temps très beau. Peu pressés de rentrer à Londres, ils avaient décidé d’emprunter les petites routes pour profiter des paysages qu’offrait la campagne en ce matin d’été tiède et serein.

Le gros nuage qui se trouvait à huit cents mètres environ avait un aspect sinistre, menaçant. Les contours en étaient bien délimités, seul le sommet se perdait dans le flou caractéristique du brouillard.

— Etrange phénomène, dit Holman en arrêtant la voiture. Est-ce une fumée ou une simple brume ?

— Trop dense pour de la brume, estima Casey. C’est du brouillard. Faisons demi-tour, John, cela ne me dit rien qui vaille.

— Demi-tour ? Ca nous rallongerait trop ! Non, non, c’est une nappe très limitée, nous aurons tôt fait de la traverser. Curieux quand même comme les bords sont nets ; on dirait presque un mur !

Un coup d’avertisseur les fit sursauter tous les deux. Un autocar les dépassa à toute allure en direction de Weyhill.

Un bus scolaire. Comme il se rabattait sur la gauche, six galopins leur tirèrent la langue avec de grands signes par la vitre arrière.

— Espèce de cinglé ! marmotta Holman. Il fonce droit dedans !

Ils regardèrent le véhicule s’enfoncer dans le brouillard.

— Il doit être aveugle, ma parole !

Brusquement, le brouillard était beaucoup plus proche.

— Tu as vu comme il se déplace vite ? s’étonna Holman. Allons-y, en douceur, et tout ira bien.

Il démarra sans remarquer la nervosité inhabituelle que commençait à manifester sa passagère. Casey n’aurait su justifier son appréhension. Simplement, ce nuage sombre lui semblait  – comment dire ? - lourd de menaces, comme ceux qu’on voit juste avant l’orage. Elle n’en fit pas part à Holman, mais ses mains agrippèrent fermement le bord de son fauteuil.

Tout de suite, ils furent dans le brouillard.

Il était plus dense qu’on ne s’y attendait. On voyait à peine à quelques mètres. Holman conduisait prudemment, en seconde et en code, penché sur le pare-brise pour mieux scruter la route. De temps en temps, il actionnait les essuie-glace à cause de l’humidité qui poissait la vitre. Il avait laissé son carreau ouvert et y jetait de fréquents coups d’œil. Cette lueur jaune qu’il lui semblait voir, était-elle due au reflet de ses phares ? Une odeur légèrement âcre atteignit ses narines, et quelque chose de ténu frémit dans sa mémoire, qui concernait le séisme de la semaine précédente. Bien qu’il en ait gardé très peu de souvenirs  – ce qui, selon le corps médical, était parfaitement normal, certaines zones de son cerveau étant encore sous le choc  – cette odeur, cette teinte jaunâtre, cette atmosphère même éveillaient quelque chose en lui. Pris d’une sueur froide, il arrêta la voiture.

— Qu’y a-t-il, John ? demanda Casey, la voix inquiète.

— Je ne sais pas, une... une impression. C’est ce brouillard... Il me semble que je le reconnais.

— Les journaux parlaient d’un nuage de poussière ou de fumée qui provenait de la cassure, peut-être causé par une explosion souterraine. John, ce n’est pas normal, ce brouillard. Et si c’était le même ?

— Non, impossible. Un nuage ne reste pas tel quel. Depuis le temps, le vent l’aurait dispersé.

— Comment le sais-tu ? S’il vient des entrailles de la terre, qui peut savoir comment il va se comporter ?

— Bon, bon, tu as peut-être raison. Quoi qu’il en soit, ne restons pas là à en discuter, essayons plutôt d’en sortir.

Il remonta sa vitre en priant que ce geste ne suscite aucune frayeur chez sa compagne.

— Etant donné qu’il se déplace, je présume qu’il sera plus facile de le traverser que de faire marche arrière.

— D’accord, mais sois prudent, je t’en prie.

Il se mit à rouler lentement, en s’efforçant de percer la pénombre. Au bout d’une centaine de mètres, ils tombèrent sur le car scolaire. Il avait à moitié versé dans le fossé et c’est tout juste s’ils n’écrasèrent pas un groupe de garçons debout derrière le véhicule ! Holman dut freiner brutalement ; par chance, sa vitesse très réduite lui permit de s’arrêter presque aussitôt.

— Mais enfin les gars, je vous ai dit de rester sur le bas-côté et pas sur la route ! tonna une voix.

— Ne bouge pas, Casey, je vais voir, dit Holman qui descendit de voiture.

L’odeur ténue mais discernable du brouillard revint le perturber. Il ferma la portière derrière lui et, s’adressant à la forme nébuleuse de celui qu’il présumait être le maître des élèves :

— Y a-t-il des blessés ? demanda-t-il.

— Quelques bobos ici et là chez les enfants, mais notre conducteur a pris un sale coup sur la tête, j’en ai peur.

Lorsqu’il fut à moins d’un mètre, Holman vit que l’homme était grand et maigre, avec un nez crochu et des yeux profondément enfoncés. Il n’avait qu’un bras : le droit était coupé au-dessus du poignet.

— Remarquez, poursuivit l’enseignant un ton plus bas, tout est arrivé par la faute de cet imbécile. Il était tellement occupé à blaguer avec les garçons qu’il n’a vu le brouillard qu’une fois dedans ; je lui ai crié de ralentir, et il a à peine freiné.

Il abaissa les yeux sur le groupe d’élèves venu l’entourer.

— Les enfants, je vous ai dit de rester sur le bas-côté de la route ! Le prochain que je prends à me désobéir aura le fouet ! Rompez !

Les élèves s’égaillèrent dans la bonne humeur : la première peur passée, la situation les amusait beaucoup.

— Allons voir le conducteur, proposa Holman, je pourrai peut-être l’aider.

Devant le car, prostré dans l’herbe, le chauffeur se tenait la tête en pressant sur son front un mouchoir ensanglanté. Par moments, il tanguait d’avant en arrière, et gémissait. Un groupe d’élèves l’observait avec une inquiétude mêlée de curiosité.

— Eh bien, monsieur Hodges, comment nous sentons-nous ? s’enquit le professeur dont l’intonation ne traduisait aucune sympathie.

— Foutrement mal, lui fut-il répondu d’une voix étouffée.

Gloussements des garçons, sourires ravis derrière des mains qu’on agitait. Après s’être éclairci la gorge, le maître ordonna sèchement qu’on se regroupe vers l’arrière du car en restant en dehors de la route, puis, se penchant vers Hodges :

— Hem ! Bien, bien, fit-il, voyons cette coupure à présent.

Holman écarta du front la main qui maintenait le mouchoir taché de sang. La blessure était sans doute plus impressionnante que grave. Il fit un tampon de son propre mouchoir et dit au chauffeur d’en comprimer la plaie.

— A mon avis, ce n’est pas vraiment grave, mais il est préférable de vous emmener tout de suite à l’hôpital.

— Il y a un cabinet médical dans la ville la plus proche, cela fera l’affaire pour monsieur Hodges, s’impatienta le professeur. Le seul problème, c’est de l’y amener.

— Nous allons nous charger de lui, et en profiter pour avertir la police. Elle aura tôt fait de vous envoyer une dépanneuse et un autre moyen de transport pour les enfants. Vous êtes sûr qu’aucun d’entre eux n’est sérieusement blessé ?

— Absolument. Vous êtes fort aimable, monsieur, et je vous en remercie. J’espère que nous n’aurons pas à attendre trop longtemps : ce brouillard humide n’est sans doute pas très bon pour les enfants.

Comme ils soutenaient le chauffeur blessé, l’enseignant expliqua à l’intention de Holman :

— Nous venons de Redbrook House, un internat privé à Andover. Les élèves sont agités en fin de trimestre, comprenez-vous. Il faisait si beau ce matin que j’ai voulu les emmener au grand air. Un tel brouillard, c’est inimaginable ! D’où peut-il bien provenir ?

Holman jeta autour de lui un regard anxieux. Le brouillard ne semblait pas se dissiper.

— Bien entendu, la plupart des parents d’élèves ont exigé que je renvoie leurs rejetons chez eux après cet affreux tremblement de terre, poursuivit le professeur, mais j’ai tenu bon : les élèves doivent finir un trimestre commencé. Les catastrophes naturelles sont extrêmement rares, n’est-ce pas, elles ne se produisent qu’une fois dans une vie, et encore. Pas question de fermer Redbrook à cause des clameurs hystériques de parents névrosés ! Certains se sont entêtés, naturellement. Dans ces cas-là, je n’avais pas d’autre choix que de lâcher leur progéniture, mais ils ont reçu une lettre bien sentie, je vous prie de le croire !

La volubilité du professeur manchot arracha un sourire à Holman. La race des vieux profs traditionalistes avait la vie dure, malgré la nouvelle vague libérale des jeunes éducateurs. En définitive, l’une et l’autre avaient leurs bons et leurs mauvais côtés.

En approchant de la voiture, dont la couleur jaune vif restait visible, Holman distingua à travers le pare-brise le visage blanc de sa compagne qui les guettait avec angoisse. Comme elle ouvrait sa portière et faisait mine de venir l’aider, il lui cria :

— Casey ! Ne sors pas, reste où tu es !

Surprise, elle suspendit son geste.

— Et ferme ta porte, insista-t-il moins abruptement.

Elle obéit, manifestement perplexe. Il ouvrit l’autre portière, abaissa le siège et fit monter le chauffeur blessé à l’arrière. Puis, se tournant vers le professeur :

— Si j’étais vous, j’obtiendrais des enfants qu’ils remontent dans le car, portes et fenêtres fermées.

— Pour quelle raison ?

— Parce que... disons que le brouillard n’est pas indiqué pour eux. Je vous envoie quelqu’un dès que possible, mais faites-les asseoir à l’abri.

Il prit place sur son siège, mit le contact. Avant de fermer sa portière, il recommanda encore :

— Ne les laissez pas sortir, et fermez toutes les fenêtres.

— Oui, oui, je vais le faire, mais je vous assure qu’ils ne risquent pas le coup de froid. Je ne vois pas en quoi un malheureux brouillard peut être si nocif, mais enfin...

Nocif, ce brouillard ? s’interrogeait Holman en démarrant. Pourquoi l’incident lui donnait-il un sentiment de malaise ? Les médecins avaient émis l’hypothèse que son accident nerveux était dû à un gaz souterrain libéré par le séisme. Explication farfelue ? Peut-être, mais il y avait cette odeur qu’il croyait reconnaître, une odeur qu’il n’avait jamais perçue avant la catastrophe... Certes, tout cela relevait de l’instinct plus que du jugement, mais justement, il avait appris à se fier sans réserve à ses intuitions. Derrière lui, un grognement vint interrompre le cours de ses pensées.

— Oooh, ma tête..., gémissait Hodges.

— Nous vous emmenons chez le docteur, le rassura Casey qui s’obligea à quitter la route des yeux pour examiner l’infortuné.

— Je vais avoir un blâme, c’est sûr, se lamenta le chauffeur. Summers ne va pas me manquer, ce fils de salaud... Oh ! pardon, mademoiselle.

Summers ? Le professeur manchot, sans doute.

— Il me déteste, poursuivit Hodges, c’est ma façon de prendre les gosses qui lui plaît pas.

— L’école de Redbrook lui appartient ? questionna Holman.

 Pensez-vous ! On dirait à le voir, mais il est censeur, c’est tout. Les gamins l’appellent capitaine Crochet.

Il rit, et cela lui rappela qu’il avait mal.

— Tout ça, la route, c’est de sa faute ! accusa-t-il.

— Comment cela ?

— Moi monsieur je conduisais, c’est tout, en rigolant un peu avec les mômes, voyez, histoire de faire un peu le malin quoi ! Et voilà qu’il se met à me crier dessus comme si j’étais un des gamins, ma parole ! Je me retourne pour répliquer aussi sec, et crac ! On était dans le fossé. Encore heureux que je n’aie pas valsé dans le pare-brise, ça oui. Après, j’ai tourné de l’œil, je me souviens de rien. Quand j’ai ouvert un œil le sang me coulait sur la figure, et lui, il était encore après moi. Vous trouvez ça normal, vous ?

 

Pour toute réponse, Holman émit un petit rire. Mais son amusement fut de courte durée : il venait de s’apercevoir que le brouillard s’épaississait. Il ralentit jusqu’à n’avancer qu’au pas, colla son nez au pare-brise.

Casey lui saisit brusquement le bras.

— John, qu’est-ce que c’est ?

Elle désignait quelque chose sur la droite. Il regarda de ce côté, ne vit que des volutes de brume qui tournoyaient.

— Quoi donc ? Je ne vois rien.

— Non, c’est trop tard. C’était peut-être une illusion, j’ai cru voir une lueur à travers le brouillard, qui s’est évanouie presque immédiatement. Une nappe plus épaisse en mouvement peut-être ? Je ne distingue plus rien.

— Ou bien une tache de lumière, un rayon de soleil se faufilant au travers.

— C’est possible.

Leur attention fut distraite par leur passager qui recommençait à maugréer.

— Fichu temps ! Il fait beau, et l’instant d’après on est dans le brouillard. Ca va avec l’époque, pour sûr.

— Qu’entendez-vous par là ? demanda Holman.

— On avait un bel été, calme et tout, pas vrai ? On ne pouvait pas rêver mieux. Et qu’est-ce qui arrive ? Un tremblement de terre, misère, un tremblement de terre ici, dans le Wiltshire !

Il se plia en deux de douleur, poursuivit d’une voix plus aiguë :

— Et hier ? Vous avez entendu causer de ce qui s’est passé hier ?

— Vous voulez parler des meurtres à la hache ? intervint Casey.

— Ouais, c’est dans tous les journaux ce matin. Que ça s’est produit pas loin du village sinistré, et tout. Un colonel machinchose, un richard, qui s’est fait descendre avec sa femme et ses employées, la cuisinière et la bonne. A coups de hache, dites donc. Le gars qu’on suppose avoir fait ça lui a tranché les poignets. Saigné, le colonel ! Et ce sont les invités qui ont trouvé les corps. Je me demande ce qui se prépare, après tout ça.

— Comme vous dites, observa Holman, le soleil une minute, la nuit l’instant d’après.

— Et vous allez voir que je vais perdre mon travail, monsieur.

— Non, je suis sûre que non, dit Casey avec sympathie.

— On voit que vous ne connaissez pas le capitaine Crochet. Jamais pu me supporter. Oh ! Mais je sais quelques petits secrets sur lui...

Un grognement de douleur lui échappa.

— C’est encore loin ? soupira-t-il.

Un quart d’heure mortellement long passa encore dans le brouillard. Et soudain, la lumière. Le changement fut aussi abrupt que s’ils avaient franchi une porte. Holman qui s’évertuait à discerner quelque chose eut à peine le temps de noter que la brume semblait s’alléger et qu’ils roulaient en plein soleil. Casey et lui contemplèrent l’épaisse nappe d’un gris jaunâtre qu’ils laissaient derrière eux. Hodges, trop occupé de sa migraine et de ses doléances, ne remarqua rien. Le nuage s’éloignait, comme un linceul posé sur la campagne. Casey frissonna, Holman lui sourit avec une assurance qu’il était loin de ressentir.

— Ce n’est pas naturel, chuchota-t-elle.

Il acquiesça, mais ne sut que répondre. Il redémarra après avoir éteint les phares. La voiture prenant enfin de la vitesse, ils arrivèrent bientôt au village, puis, sur les indications de Hodges, au commissariat. Holman grimpa les marches en trombe et raconta précipitamment aux policiers l’accident survenu au car. En apprenant qu’aucun enfant n’était sérieusement blessé, le sergent parut éprouver quelque difficulté à comprendre l’anxiété de son interlocuteur. La présence du brouillard le surprit, il avait presque peine à y croire, le phénomène n’avait absolument pas touché le village, et on ne l’avait pas signalé dans la campagne environnante. Mais que Holman se rassure, il allait joindre le garage et envoyer l’un de ses hommes sur place. Il lui indiqua la direction du cabinet médical et le remercia du mal qu’il s’était donné.

Holman quitta le commissariat avec un léger sentiment d’insatisfaction. Après tout, peut-être exagérait-il le danger sans raison valable ? Le brouillard n’était pas rare en Angleterre, même si à cette époque de l’année sa présence semblait assez insolite. Et dans la clarté du soleil, il lui était difficile d’évoquer l’atmosphère menaçante de son oppressante pénombre jaunâtre. Elle devenait irréelle, comme si elle n’était apparue qu’en rêve. Et si lui-même n’était pas tout à fait remis, s’il avait encore l’esprit un peu  dérangé » ? Mais Casey aussi avait vécu l’épisode dans le malaise, il s’en était rendu compte  – lui aurait-il transmis sa propre peur ? Rien ne passait plus facilement d’une personne à l’autre que la tension intérieure, qui se communiquait ainsi à tout un groupe. Il avait besoin de repos. L’heure écoulée avait suffi à l’épuiser, en le mettant dans un pénible état d’agitation. Pourquoi avait-il exigé de Casey qu’elle ne sorte pas de voiture ? Croyait-il vraiment que ce brouillard avait un rapport avec la maladie qui l’avait lui-même frappé ? Il ne savait pas, il n’était sûr de rien  – il n’avait pas voulu qu’elle fût trop exposée à ses émanations, voilà tout. Avec du repos, l’appréhension qui le tenaillait se dissiperait peut-être ?

Ils conduisirent un Hodges toujours grommelant au cabinet médical où ils le laissèrent entre des mains expertes et bienveillantes, et reprirent la route de Londres.

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